Nous avons eu la chance de rencontrer Maître Franz OTTE, notaire à Angers ; nous lui avons posé quelques questions sur le patrimoine et les testaments. C’est parfois un peu technique mais c’est de l’information fiable et c’est l’objectif de ce blog.
C’est quoi une succession ? Notaire & Patrimoine
Aujourd’hui, ce qui fait l’objet d’une succession et qui est prévu par la loi, c’est l’ensemble du patrimoine et on entend par patrimoine, le patrimoine qui a une valeur donc le patrimoine immobilier. Dans patrimoine mobilier, on entend les lieux (maisons, appartements, terrains, etc.), les meubles meublants et tout ce qui est autre “mobilier”, c’est-à-dire les valeurs mobilières comme les comptes bancaires, les placements, etc.
Il y a deux niveaux dans une succession : le niveau juridique civil et le niveau juridique fiscal.
Le niveau juridique civil : on transmet à ses héritiers les biens qui ont une valeur en fonction d’un lien de parenté qui est fixé par le code civil. Il y a ce qu’on appelle un ordre et un degré de la ligne classique dite “ascendante descendante” c’est-à-dire les enfants qui héritent avant les autres. S’il n’y a pas d’enfant, ce sont les collatéraux qui héritent : les parents, les frères et sœurs. Quand il n’y a pas d’enfant et qu’il n’y a que les parents ou que les frères et sœurs ou encore d’autres héritiers qui ont un rang subséquent, donc moins bien classé, dans ce cas-là effectivement il y a la possibilité de faire ce que l’on veut en termes de legs.
https://www.notaires.fr/fr/donation-succession/testament-legs/donation-quest-ce-que-le-legs
Il n’y a qu’avec les enfants ou l’on est obligé d’avoir une quote-part de la succession qui leur est réservée, ce sont les seuls héritiers réservataires. Un enfant a la moitié qui lui est réservée, deux enfants en ont 2/3, trois enfants et plus les 3/4. Donc pour un enfant, on a 1/2 du patrimoine qui est libre. Vous en disposez comme bon vous semble, pour deux enfants : 1/3 de libre, pour trois enfants et plus : ¼ du patrimoine libre.
Le niveau juridique fiscal : il y a une obligation de déclarer la succession et donc pour les héritiers de payer des droits de successions en fonction de leur lien de parenté. La question des enfants et des héritiers a été abordée, mais pour les conjoints non mariés c’est un peu plus compliqué.
Et le patrimoine émotionnel ? Pour nous, notaires, il nous échappe complètement…
Et le patrimoine émotionnel ? Notaire & Patrimoine
Pour nous, notaires, cela nous échappe complètement. On est parfois face à des familles en pleine mésentente et c’est à ce moment-là qu’on se rend compte qu’il y a une bagarre pour récupérer les photos du père qui avait les photos du grand-père, de la grand-mère, etc. Mais d’une manière générale, fiscalement, vu qu’il n’y a pas de “valeur”, on ne s’en occupe pas et on incite les familles à trouver une entente.
Il en va de même d’un point de vue juridique : le code civil ne l’aborde pas parce qu’on peut considérer que c’est englobé dans le cadre général de la succession. Là encore, on incite les familles à s’arranger de manière intelligente sur la question des souvenirs (qui ont pour moi une grande valeur). Cependant, il n’y a pas de règles, pas de réglementation, pas d’acte particulier qui indique que les photos de famille sont partagées comme ci ou comme ça. Par contre, c’est un vrai sujet d’évolution chez les notaires, notamment sur les données personnelles et/ou l’avatar digital de la personne décédée.
Aujourd’hui, il peut y avoir un problème sur l’avenir des données personnelles dématérialisées quand on décède. Rien n’est prévu à ce jour sur cette question de droit. Tout est à la charge des prestataires de services de ces réseaux sociaux. Ce sont eux qui fixent les modalités pour pouvoir effacer ou non les données personnelles d’un parent en cas de décès.
Est-ce que les personnes bénéficiaires d’un patrimoine émotionnel peuvent/doivent ou non accepter cet héritage ?
Rappelons la méthodologie : lorsqu’une personne décède, il y a une obligation à régler la succession. C’est l’une des missions des notaires. Première chose à faire pour que vous puissiez accéder à la succession d’un défunt, c’est qu’il faut pouvoir prouver que vous êtes l’héritier. De notre côté, nous devons vérifier quels sont TOUS les héritiers ! Et oui, il arrive que des héritiers ne soient pas connus des autres membres de la famille. Il est possible que le défunt ait laissé des instructions via un testament ou via le fichier central de disposition des dernières volontés (FCDDV). Il n’y a que les notaires qui peuvent déposer les informations sur ce fichier ou les consulter. C’est un outil de la profession.
Les informations sur une personne ne sont visibles que lorsqu’elle est décédée. Si une personne y a laissé un testament, il ne sera visible qu’après le décès. Le protocole est très strict. Nous, notaires, on ne peut vérifier le contenu du FCDDV qu’avec un certificat de décès et toute notre navigation sera enregistrée pour permettre à un confrère de voir l’historique de connexions. Je ne rentre pas dans les détails mais la sécurité de ce fichier est extrêmement puissante et heureusement car les informations laissées dans un testament sont parfois très importantes. Une fois que nous avons consulté ce fichier, nous pouvons déclencher la succession en ayant toutes les informations liées au défunt et la certitude que tous les ayants droit ont été identifiés. Pour répondre à votre question, un ayant droit peut refuser un héritage mais je le rappelle un héritage lié au biens, aux mobiliers, aux comptes bancaires… non au patrimoine émotionnel. On laisse cette partie liée aux souvenirs à la bonne intelligence des familles.
Nous sommes les gardiens du temple patrimonial
Maître Franz OTTE, notaire à Angers
Pour info, à ce jour il y a quatre formes de testament (source : testamento.fr) :
- Le testament olographe doit être intégralement rédigé à la main sur un papier libre ou un support durable, daté de façon précise et signé par la main du testateur. Pour être valide et authentifié, il ne peut en aucun cas être écrit à l’ordinateur, même en partie. C’est un testament simple à réaliser et qui n’engage aucuns frais de rédaction ni formalités particulières. Il présente l’avantage d’être facilement révocable : il peut être détruit ou remplacé par un plus récent qui annule automatiquement le précédent. En revanche, il doit être rangé et conservé dans un endroit sûr : chez une personne de confiance ou un notaire. De même, il peut être facilement contestable si certaines règles ne sont pas respectées ou s’il contient des dispositions contraires au droit.
- Le testament authentique doit être reçu et rédigé en présence de personnes habilitées : deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins. C’est le testateur qui dicte les consignes et prescriptions au notaire, qui lui, rédige et peut conseiller son client en matière de droit et de règlementation. Cela se fait dans une pièce, toutes portes fermées, téléphone coupé pour ne pas être dérangé ou interrompu. Une fois terminé, le notaire lit le testament au testateur qui signe en présence du second notaire ou des témoins afin de valider l’authenticité de l’acte.
- Le testament mystique, combinaison des deux précédents testaments, est très peu utilisé. Il se présente sous la forme d’un texte écrit à la main ou à l’ordinateur, signé et daté par le testateur, présenté cacheté devant un notaire en présence de témoins. Le notaire n’a donc pas connaissance des dispositions prises par le testateur. Une fois entre les mains du notaire, ce dernier dresse un procès verbal qui authentifie “l’acte de remise du testament“.
- Le testament international est assez récent en France (1994). C’est une forme simplifiée du testament mystique qui peut être utilisée en France comme à l’international, même sans lien d’extranéité. Il est donc reconnu dans de nombreux états d’Europe et du monde. Pour être recevable, le testament doit être daté et signé par le testateur, inscrit au FCDDV de France et un exemplaire doit être conservé par le testateur et par un notaire. Il ne doit pas forcément être écrit à la main par le testateur et peut être rédigé dans n’importe quelle langue. En revanche, il doit être établi devant témoins ou personnes habilitées pour être valable. Il est donc possible d’inscrire dans un testament le partage des biens mais aussi d’indiquer les codes d’accès à votre solutions toodays.me pour que tous les ayants droit découvrent le patrimoine émotionnel que le défunt a regroupé pendant toute sa vie. C’est un autre trésor.
Et cela représente beaucoup d’actes notariaux, l’ouverture d’un testament ?
Un notaire accompagne les gens tout au long de leur vie. Le patrimoine, je le rappelle, c’est ce qui regroupe l’ensemble des biens d’une personne. Nous gérons cela avec lui dans les règles de l’art. C’est rassurant. Notre travail lié aux héritages, aux testaments est de ce fait très courant.
Cela nous permet de respecter le défunt qui nous a confié l’organisation de son patrimoine tout au long de son existence et de guider correctement les héritiers pour qu’ils puissent à leur tour aborder cette notion de patrimoine avec sérénité. Prenez le temps de pousser la porte d’un office notarial et vous découvrirez qu’il est indispensable d’avoir de bons conseils sur votre patrimoine. Vous vous sentirez rassurés et parfaitement orientés dans ce monde du “droit”. Nous sommes comme les gardiens du “temple patrimonial”.
Dans notre métier, le droit côtoie toujours l’émotion et c’est en cela que votre solution peut être intéressante car à l’ouverture d’un testament beaucoup d’émotions s’échappent aussi de l’enveloppe. Les souvenirs ressurgissent et la personne défunte semble tout à coup envahir la pièce. Lorsque les fratries sont en conflit, finalement les souvenirs organisés, déjà équitablement partagés peuvent être un baume pour calmer les blessures ou les non-dits qui sont parfois présentes dans les familles. Les souvenirs mettent souvent en lumière les moments de bonheur et cela pourrait nous aider dans ces moments souvent chargés de peine. Ce qui est certain, c’est qu’à l’ouverture d’un testament, devant toute la famille réunie, il peut y avoir des surprises et c’est, je dois vous l’avouer, une singularité étonnante de notre métier ! Mais je vous rassure, les successions qui finissent malheureusement devant la justice ne représentent que 2 à 3 % des dossiers que nous traitons.
La très grande majorité des lectures de testaments se passent bien et ne révèlent que ce qui était déjà connu.
Propos recueillis en octobre 2021 à Angers à l’étude de Maître Franz OTTE
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