Eve est une jeune écrivaine du territoire ligérien. Elle a déjà écrit de nombreuses nouvelles et réalisé plusieurs cahiers d’illustrations. Elle vit aujourd’hui à Nantes et progresse en toute discrétion. Nouvelle : souvenirs d’enfance
Bruissements, couleurs et parfums : souvenirs d’enfance.
Le soleil caresse son visage par le store ajouré.
La chambre baigne dans une douce quiétude, taches blanches du soleil sur les draps lavande, où ondoient ses cheveux épars. Elle ouvre ses yeux encore gorgés de sommeil. N’existe que la chaleur des draps autour de son corps, et la rêverie tout juste dissolue de ses songes. Elle se redresse et écarte de son visage les quelques mèches furibondes, vestiges de son sommeil. Son téléphone, en charge sur la table de nuit, indique huit heures. La maison est encore calme, pas de bruit à l’étage. Uniquement le chant de quelques oiseaux lointains, quelque part dans le jardin et le soleil qui ondule sur les draps.
Elle profite de la chaleur parfumée de son café. Un livre posé à ses côtés qu’elle n’a pas encore envie d’ouvrir mais dont la simple présence en fait un compagnon de choix pour contempler la tiède matinée embrasser le jardin ; un petit coin de verdure, juxtaposé à une maison à deux étages, coquette et moderne. Sa nuisette dévoile l’arrondi d’une épaule dorée ; elle ne la replace pas, porte son café à ses lèvres et déguste la chaude caresse sur son palais.
Il est neuf heures passées quand une première petite tête blonde fait irruption dans la cuisine. Les cheveux dressés de part et d’autre de son crâne, les yeux encore mi-clos, tâtonnant en quête de quelque nourriture. Elle rit et s’empresse de passer sa main dans cette chevelure hirsute. La petite l’étreint, toute chaude et les joues roses, avant de lui préférer une des grandes chaises de la cuisine.
Elle se sert un autre café, un long cette fois-ci, et s’assied avec elle. Elle adore la voir errer le matin, encore ensommeillée. Les années passent vite, et elle est heureuse d’avoir déjà gardé quelques photos de ces matins calmes. Nouvelle : souvenirs d’enfance
*** Nouvelle : souvenirs d’enfance
Le déjeuner est vite englouti par ses deux petites filles. Il reste de la sauce sur leur frimousse. Elle n’a pas le temps de les attraper que les deux enfants sont reparties aussi vite qu’apparues pour jouer dans leur chambre. Elle sourit de cette complicité, de voir la plus jeune courir moins adroitement derrière sa sœur. Son petit visage potelé, sa frange qu’elle a peut-être coupée de travers et ses grands yeux admiratifs devant son aînée. Elle espère que toujours demeurera cette fraternité entre elles.
Discrètement elle saisit de son téléphone et immortalise cet instant : elles sont penchées sur le livre de recettes ; de leurs petites mains, elles chassent leurs mèches rebelles qui tombent sur leurs yeux et soulignent chaque mot important de leur index. C’est une lecture imprécise. Les ingrédients sont difficilement dosés et la farine finit autant sur la table que dans le bol. Les tabliers trop grands caressent le sol carrelé, les œufs manquent de finir avec leur coquille dans la mixture et le tout est d’une homogénéité toute relative. Elles sont drôles, le nez retroussé et la bouche pincée par la concentration. Elle passe derrière elles pour s’assurer que le résultat sera comestible et en profite pour prendre quelques photos de leurs visages attentifs et affublés de toques roses et vertes.
Elle en fera un recueil à part, un lieu qui regroupera leurs moments à toutes les trois. Le soir, elle regarde les quelques images de la journée : les visages un peu tordus, barbouillés de chocolat. Il n’y a pas encore de texte joint mais elle rajoute, avec un sourire tendre, la musique qui n’avait de cesse de passer à la radio. Si elle pouvait elle y joindrait l’odeur du cuir chaud, des produits d’entretien et du vent chargé de fleurs printanières. Pour le moins, elle ajoutera les quelques pubs que ses filles peuvent réciter par cœur.
Elle sait que ces photos seront « la madeleine » bien plus que les photos d’anniversaire, de vacances ou de mariage. Alors qu’elles étaient trop jeunes et ne connaissaient pas bien les mariés. Celles-ci, dûment classées et annotées, auront une tout autre force. Il y aura le quotidien et sa clarté. L’enfance et sa tendresse. Le parfum d’une mère, d’une étreinte ; la caresse imaginaire du soleil sur les objets, l’air par la fenêtre, un gâteau dans le four. Ce sont ces petites choses, ces riens qui apaisent l’âme de l’adulte. C’est dans le cœur et par les photos, les mots laissés çà et là, que l’on peut retrouver l’enfant qui sommeille éternellement en nous. Elle leur composait un véritable mémorial de leurs jeunes années, une ode à la nostalgie heureuse.
Ces fragments illustrent, par leur simplicité, l’amour débordant et irrationnel qu’elle leur porte.
Elles sont allées au parc près de leur maison, un joli jardin plein de fleurs odorantes et de vieilles sculptures classiques au plâtre noirci de mousse. Elles ont couru devant elle, sont revenues lui tenir la main. Beaucoup de parents comme elle surveillent les enfants en poussette ou déjà sur deux jambes qui détalent à droite et gauche. Enfin, apparaît le graal ! Un groupe de cinq chèvres dodues et curieuses qui donnent de petits coups de tête dans le dos des enfants ou fouillent dans leurs poches en quête de quelques miettes. Elle s’assied sur un banc, une poule perchée à ses côtés qui roule curieusement des yeux dans toutes les directions. Nouvelle : souvenirs d’enfance
Elle immortalise ces sorties où, toujours animées par la même joie, les deux petites filles caressent maladroitement les grands animaux au poil rêche. Elle aime leurs visages poupins qui surgissent de leurs imperméables colorés, leurs cheveux portés par une légère brise, leurs cris qui se mêlent aux bruits des pas, des poussettes, du vent dans les arbres.
Ces moments sont hors du temps, presque hors du monde : la raison d’être de l’existence, sincère et candide, qu’on aimerait savourer en permanence.
Alors, elle prend quelques photos de leurs visages baignés par les rayons du soleil, de leurs délicates mains posées sur le poil rêche des chèvres, des couleurs chatoyantes et des vêtements bariolés. Elle sait que ces images du bonheur feront ressurgir, plus tard, dans leur mémoire, les odeurs, les discussions qu’elles auront eues, le souvenir de ces jours heureux.
Elle continue de garder méthodiquement une trace des moments vécus ensemble pour agrandir leur temple vivant : émotions anodines, petits riens, banalités, gestes quotidiens répétés jusqu’à l’absurde, sens de l’existence. Il y a un sapin planté dans le jardin – elles l’ont acheté un jour où elles sont allées chez le pépiniériste. Il y a les vieux livres d’enfance : les albums, les bandes dessinées lues le soir venu. Les vieilles cassettes et les génériques qu’elle-même a fini par retenir à force de les entendre.
Tant de choses font les souvenirs. Un ensemble de bric et broc : objets, odeurs, goûts, habitudes dont il ne reste aucune trace tangible, plutôt une idée floue, lointaine et chaude qui, lorsqu’on y pense, fait ressurgir le passé. Une boîte d’objets désuets et pourtant essentiels qui est ensuite ballottée dans le monde des adultes. L’ensemble peut alors égayer le cœur, ramener l’âme à son insouciance d’enfant. On n’a jamais idée de saisir la sortie d’un cours de danse, le repas des mercredis composés de petits pois et poisson pané, faute de temps. Plus tard, ce sont ces repas sur le pouce, cette habitude quelconque qui avive la nostalgie. Ce n’est pas telle fête d’anniversaire. C’est la tendresse du quotidien.
Aujourd’hui, elle le sait. Elle y pense, elle veut laisser une trace pour elles, d’elles, de ces instants, ces petites choses primordiales dans leur relation. Tandis qu’elle les sait endormies et qu’elle profite du calme retrouvé de la maison. Un silence habité. Elle sait où est l’essentiel, ce qui d’apparence semble futile et impossible à capturer : le quotidien aux contours flous et mouvants qui vous construit.
La nouvelle “Errance ; cyprès et lune d’été” est disponible.
Ève – @79hope_
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